LA DELICATESSE.

            Non ! Je ne vais pas vous parler du roman de David Foenkinos qui porte ce titre (je ne l’ai pas lu. Peut-on parler d’un livre que l’on n’a pas lu ?) mais de deux films et, accessoirement, de deux livres de mon panthéon personnel.

            Le premier de ces films, j’ai eu (comme d’autres) le privilège de le voir en salle et en avant-première lors du dernier festival du film britannique de Dinard (qui ne s’appelle plus ainsi, mais…). Il s’intitule The Quiet Girl, premier film de Colm Bairéad, et met en scène, au début des années 1980, une fillette d’une dizaine d’années que ses parents laissent en garde à un couple de cousins le temps que naisse le petit dernier.  Pendant ce séjour cette jeune fille va découvrir un nouvel univers, discret et affectueux, mais aussi le secret que ce couple garde pour lui.

                                                                                  

Superbe film où tout est feutré, suggéré, où tout avance par petites touches jusqu’à une fin poignante. Superbe film qui a aussi la particularité d’utiliser le gaélique dans ses dialogues. Magnifique adaptation d’un court et très beau roman (ou d’une longue et très belle nouvelle) de Claire Keagan, qui date déjà de 2010, publiée en version originale sous le titre Foster (que l’on peut traduire par « famille d’accueil »), en français sous l’énigmatique et symbolique Les Trois Lumières. Trois titres donc, et même quatre si on y ajoute le gaélique An Cailín Ciúin. Qui dira un jour le mystère des traductions ? (J’avoue que ma préférence va à Les Trois Lumières… sans chauvinisme aucun).

                                                                           

            Et puisqu’il est question de Claire Keagan et que, plus haut, j’ai prévenu que je parlerais  de deux livres, je signale un autre bref ouvrage de cette auteure : Ce genre de petites choses (Small Thinks like these en V.O.)tout aussi sensible, fin, délicat.

            Le second de ces films est Le Bleu du caftan de Maryam Touzani. Halim est maître tailleur (maalem) dans la medina de Saleh au Maroc. Il est marié à Mina et embauche un apprenti Youssef qui ne le laisse pas indifférent et pour lequel il peine à masquer ses sentiments.

Tout le film, contemporain mais quasi intemporel, tourne autour de ce trio. Tout le film est empreint d’une grande douceur, d’une grande douleur également. Toute l’atmosphère du film est nimbée d’une forte sensibilité, d’une extrême pudeur loin d’être contradictoire avec la sensualité qui s’exprime par des regards, des gestes… délicats. La simple palpation d’une étoffe fait naître l’émotion. Là non plus, rien d’appuyé. Des scènes qui parfois s’étirent avant de passer à autre chose, coupant court au voyeurisme ou à la tentation de tout expliquer comme si le spectateur avait besoin qu’on le prenne constamment par la main. L’image, le montage comme métaphores du sujet. La lente confection du caftan comme fil conducteur. À la sortie de la salle de projection, un autre film m’est venu à l’esprit : La Dentellière de Claude Goretta, pourtant pas revu depuis sa sortie en 1977 (adapté du roman éponyme de Pascal Laîné).

            Pour l’un et l’autre film il faut se laisser aller à la lenteur, aux détails (un mouvement, un regard, un silence, un objet…) qui révèlent plus que de longs discours, plus que de prétentieux mouvements de caméra.

            Dans la séquence politico-sociale que nous vivons où l’arrogance, le mépris, la surdité, la violence tiennent le haut du pavé, n’hésitons pas à nous faire du bien, à nous laisser submerger par la délicatesse.