SENS SANS SENS

4 juin 2022, Ouest-France - page 2.

Deux articles côte à côte (hasard ?). L'un intitulé "En Ukraine, la guerre toujours taboue du Kremlin"; l'autre "Shangai reconfine les mots".

- Dans le premier l'auteur rappelle que, officiellement, Moscou ne fait pas la "guerre" (quel vilain mot !) en Ukraine, mais  y mène une "opération militaire spéciale".

- Dans le second, au titre explicite, on apprend que Shangai ne sort pas d'un "confinement" (quel mot exécrable !) mais d'une "gestion par la suppression (et la suspension) des déplacements".

Qu'en termes délicats ces choses-là sont dites ! 

Et qu'est-ce que ça nous dit ? 

- Que les dirigeants de ces deux grands (par la superficie tout au moins) pays savent utiliser la rhétorique et l'adapter à leur usage.

- Que les dirigeants de ces deux grands (par la superficie tout au moins) pays sont passés maîtres dans l'art de la périphrase et de l'euphémisme, sans oublier la métaphore et la litote.

Que les dirigeants de ces deux grands (par la superficie tout au moins) pays sont passés experts dans le maniement du langage !

Que les dirigeants de ces deux grands (par la superficie tout au moins) pays ont compris que le langage, l'utilisation qu'ils en font, leur sert dans un autre art dont ils ont l'expertise : le maniement des peuples qu'ils dirigent.

Pas grand chose de nouveau sous le soleil : relisons 1984 d'Orwell ; regardons Le Dictateur de Chaplin ; n'oublions pas, entre autres,  que de 1954 à 1962 l'armée française n'a pas fait la "guerre " (quel mot abominable !) en Algérie, mais a participéà des "opérations de maintien de l'ordre".

Autre chose : dans le "matériel électoral" que j'ai reçu en vue des prochaines élections législatives, un candidat de ma circonscription, dans sa profession de foi, met en exergue la "tyrannie sanitaire" et réclame "le retour à la liberté d'expression", Se rend-il compte que si nous vivions en "tyrannie", même "sanitaire" et que si la "liberté d'expression" avait disparu, il n'aurait certainement pas la possibilité de se présenter à cette élection ? Peut-être même (mais je ne le lui souhaite pas) croupirait-il dans une prison, une geôle malodorante ou un "camp de rééducation".

Oui ! Les mots ont un sens !

Et tout ce qui précède (exemples qu'on pourrait multiplier à l'infini) devrait nous rappeler que les détourner de ce sens n'est jamais innocent.

Les "tyrans" (ou apprentis tyrans), les "dictateurs " (ou ceux qui aspirent à le devenir) le savent et savent en jouer.

Ne les laissons pas nous abuser.