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les mots de Momo
13 mai 2014

lA LITTERATURE C'EST PAS QUE DES MOTS...

   ... qu'on aligne les uns après les autres pour former des phrases, puis des paragraphes, des chapitres... Un livre enfin.

   Aujourd'hui, j'ai envie de vous parler de deux ouvrages qui vont au-delà.

Chalandon

   Le premier est de Sorj Chalandon. Il s'intitule Le Quatrième mur. Il a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en 2013. Ce quatrième mur qui donne son titre au roman, c'est, dans le domaine du théâtre, celui qui sépare la scène du public, mais aussi le comédien de son personnage. Mur invisible. Pas moins réel. Nous avons donc affaire à une histoire de théâtre. Pas n'importe quel théâtre. Pas n'importe où surtout. Nous sommes dans les années post-soixante-huitardes. Effervescence politique. Bouillonnement intellectuel. Le narrateur, Georges, se lie d'amitié avec Sam, un Grec exilé politique. Un peu son double. Un peu son contraire. Dans son pays, Sam faisait de la mise en scène. Un projet lui tient à coeur (choeur ?) : monter Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth, dans un théâtre délabré, en plein sur la ligne de front, qui plus est avec des comédiens issus des différentes communautés qui se combattent : druzes, palestiniens, chrétiens maronites, musulmans chiites, musulmans sunnites, chaldéens, arméniens... Mais Sam tombe malade. De son lit d'hôpital, il demande à Georges de poursuivre ce qu'il a commencé. Georges accepte, s'envole pour Beyrouth. Découverte de la violente et absurde réalité libanaise. Pourra-t-il aller jusqu'au terme du projet (une représentation pendant quelques heures de cessez-le-feu) ? Sortira-t-il lui-même indemne de cette folie ?...

Vargas Llosa

   Le second, c'est Le Rêve du Celte, de Mario Vargas Llosa. Entre roman et biographie. Celle de Roger Casement, diplomate britannique d'origine irlandaise qui, début XXème siècle, s'insurge contre le colonialisme belge au Congo, puis, quelques années plus tard, dénonce la manière dont les grandes firmes caoutchoutières traitent les Indiens du Putumayo, région de l'Amazonie péruvienne bien éloignée de Lima.

   Congo. Amazonie. Ce sont les deux premières parties du livre. La troisième est consacrée à l'Irlande car, Roger Casement, dans sa lutte contre le colonialisme en Afrique et en Amérique du Sud, découvre qu'il en existe un autre : de l'Angleterre sur l'Irlande. Lui, protestant d'Irlande du Nord, se range du côté des nationalistes catholiques d'Irlande du Sud et, selon le principe que "les ennemis de nos ennemis sont nos amis", recherche l'appui de l'Allemagne, négocie - en pleine guerre - son soutien au soulèvement de 1916. Il échoue, est fait prisonnier lors de son retour sur le sol irlandais dans un sous-marin allemand, condamné à mort pour trahison et exécuté le 3 août 1916.

   Vous me direz : quel rapport entre ces deux livres ?

   Tout d'abord, que c'est de la vraie littérature qui s'inscrit sur une réalité tragique (guerre, colonialisme) et la dépasse par l'écriture, par la complexité dont mes petits résumés ne rendent pas compte (trop de mots seraient nécessaires), par leur construction, l'art du contrepoint où se mêlent, chez Chalandon, le Liban, mais aussi la France des années 70-80, mais encore la vie des uns est des autres, l'amour, la famille, la maladie. De même que se brassent dans Le Rêve du Celte Congo, Pérou, Irlande, mais aussi la réalité sordide de la prison de Pentonville, la jeunesse de Roger Casement, ses apprentissages, mais encore l'homosexualité, le refoulement, la douleur.

   Ensuite que l'un et l'autre n'hésitent pas à montrer la violence sans tomber dans un voyeurisme malsain : au coeur des massacres de Chabra et Chatila avec Georges, au coeur des tortures subies par les Noirs ou les Indiens lorsqu'ils ne ramènent pas leur quota de latex.

   Mais aussi, que Mario Vargas Llosa évoque l'ambiguïté des nationalistes irlandais qui jouent les Allemands contre les Anglais lors du premier conflit mondial. Sorj Chalandon, dans Mon Traître et Retour à Killybegs, avait aussi évoqué, une guerre plus tard, la collusion entre L'IRA et L'Allemagne nazie.

   Enfin, que ces deux livres sonnent (pour moi en tout cas) comme une mise en garde contre les absurdités auxquelles mènent l'exacerbation des égoïsmes, des particularismes et des nationalismes. A Beyrouth, chacun mène son propre combat contre tous les autres avec une violence et une intolérance telles que plus personne ne connaît les racines de ces rivalités où se mêlent identité et religion. Comme une sorte de manège qui tourne sur lui-même à une vitesse de plus en plus folle sans qu'on sache qui l'a mis en marche, pour quelles raisons, ni comment on l'arrête. Un maëlstrom où chacun tire sur l'autre simplement parce qu'il est différent. En Irlande également, religion et identité font bien mauvais ménage. Vargas Llosa peint des Patrick Pearse et d'autres héros de l'indépendance comme des mystiques prêts au martyr et au sacrifice de milliers de personnes  pour leur idéal. Des fanatiques prêts à s'allier au diable pour que se réalise leur rêve. Dans les deux cas, des sortes de fous de dieu. Il n'y a que le dieu qui change.

   Tout cela a, pour moi, une grande résonnance aujourd'hui où, un peu partout, les égoïsmes veulent faire leur loi, les particularismes prennent le dessus, les nationalismes renaissent ; où l'intolérance (à l'autre, responsable de tous les maux) gagne du terrain ; où les populismes, d'extrême-droite en particulier, relèvent la tête.

   Qu'on regarde autour de nous, en Europe (surtout en ces jours de campagne électorale), en Ukraine, en Afrique... 

   Ces deux livres qui parlent du passé ne sont-ils pas d'une brûlante actualité ?

 

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Commentaires
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  • Il s'agira de donner des avis sur des lectures et sur des événements culturels en général. Mais des éléments portant sur l'actualité ou sur des voyages ne seront pas oubliés. Le tout, si possible, avec de l'humour et de l'humeur.
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